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Appel Muet (OS "Très Cher Frère)

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Appel Muet  (OS "Très Cher Frère) Empty Appel Muet (OS "Très Cher Frère)

Message par LaLy Ven 11 Jan - 17:01

Rei se sentait dériver au gré de sa fièvre, brindille emportée par le flot d’une vie qu’elle ne contrôlait plus depuis des années, livrée au bon vouloir du flux de son espoir et refoulée par le reflux de son désespoir. Dans cette pièce la tenant à distance de l’extérieur comme une boîte à bijoux spéculaire et mortuaire, elle s’abandonnait corps et âme aux vagues de la fièvre qui emmenaient son coeur en promenade. Elles lui faisaient arpenter les sentiers de son existence, emprunter les pentes abruptes aux voies non pavées et caillouteuses de son amour pour Fukiko.


Installée dans la voiture de sa relation avec sa sœur, elle ressentait chaque secousse avec violence : depuis longtemps, ses amortisseurs avaient lâché. Elle allait de rendez-vous manqué en rendez-vous manqué, toujours en retard ou en avance, jamais à l’endroit approprié. Son esprit retrouva le lieu du souvenir de leur promesse de rester à jamais unies dans la mort pour couper l’herbe sous le pied de la vie qui ne manquerait pas d’abîmer leur relation… de la mauvaise herbe à ne pas laisser proliférer, par laquelle il ne fallait à aucun prix se laisser emprisonner.


Puis, son esprit se rendit à nouveau au rendez-vous sous l’orme. Rei ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle ne s’était pas placée suffisamment en évidence, de sorte que, ne l’ayant pas aperçue, piquée au vif de son orgueil, sa sœur avait mis un point d’honneur à ne pas dévoiler publiquement sa peine, faisant travailler les premières années, comme elle se l’était promis.

Le cœur de Rei était alors soulevé par un souffle d’espoir aussi chimérique que démesuré : sa sœur était venue au rendez-vous, elle l’avait cherchée mais ne l’avait pas trouvée. Puis, il s’enferrait dans une ornière dont toutes les illusions du monde ne pouvaient la désembourber : les paroles de Nanako lui expliquant que tous les membres du Cercle de la Rose s’étaient rendus directement chez Mlle Myia. Le cœur de Rei se débattait contre l’évidence : sa sœur n’était pas venue, chaque mouvement d’espoir l’enlisant un peu plus dans les sables mouvants de cette vérité de fange amère qu’elle s’efforçait de combattre voire de défier depuis plusieurs années. Elle était seule, sa famille la tenant volontairement à l’écart….


Elle était seule, tentant de se jouer la comédie de l’espoir tout en forçant parfois sur le masque du desespoir, s’amusant de sa popularité auprès des élèves de Seiran, endossant le rôle de St Just, au mystère charismatique, dont les prunelles ne pouvaient que cacher un secret palpitant, dont les pas ne pouvaient que la conduire vers une vie hors du commun, de quelqu’un qui connaît les secrets de l’existence et qui serait apte à leurs en livrer les clés…

Mais au fur et à mesure qu’elle s’éloignait du lycée, St Just redevenait Rei, une jeune fille vivant dans un refuge de désespoir espérant : celui de n’être pas aimée de la seule personne qui compte à ses yeux combattu par l’espoir d’y parvenir un jour, à force d’abnégation. Recluse dans une boîte d’obscurité, éternelle emmurée d’illusions dont la seule compagne est sa poupée, un être inanimé, recueillant espoirs, larmes, indifférence, colères… dont le seul écho étant un silence dont le cri muet de solitude déchirait à la fois ses tympans et son cœur…


Puis, les vagues de fièvres confiaient à nouveau son cœur aux bons soins de l’espérance. Livrée aux bercements d’un vent l’attirant vers la lumière de l’affection, son âme s’enivrait alors de bouffées de vie, transportée de la brise d’amour à la naïveté rafraichissante de Nanako aux bourrasques d’amitié rude mais affectueuse de Kaoru… La fièvre la droguait à la chaleur humaine. Et, l’âme réchauffée d’effluves d’affection, Rei souriait… Son esprit lui renvoyait par d’exquises volutes l’image de Nanako lui proposant de lui préparer le plat qu’elle souhaitait, elle qui ne se nourrissait que de sa souffrance… A nouveau, l’amitié de Kaoru la giflait, en ne lui procurant aucune douleur… seul le contact de l’inquiétude de son amie lui importait… Rei avait le sentiment d’exister à travers les regards affectueux que Nanako et Kaoru portaient sur elle…


Son bonheur fit alors grincer le verrou rouillé de sa prison de solitude… Au moment où son cœur s’apprêtait à en franchir le seuil, le vent de l’espoir cessa, la faisant choir telle une feuille morte, inutile, privée de la sève de l’affection d’autrui… L’image de Fukiko ressurgit, renfermant sur son âme des grilles noires, la condamnant de nouveau à l'isolement… La gorge de Rei la brûlait : elle avait la sensation d’avoir bu des gorgées de verre pilé… celui de la fragile perle de verre de son espoir d’être aimée brisée à nouveau… renfoncée dans sa gorge… chaque bris lui lacérant la chair…


En portant à ses lèvres une myriade d’étoiles anxiolytiques, ses yeux parcoururent indifféremment la pièce lorsqu’un objet heurta de plein fouet son regard : le téléphone, cet objet qu’elle avait si longtemps imploré.
Les premiers temps où elle a emménagé dans cet appartement, elle le fixait à chaque instant, tantôt le caressant des yeux, tantôt l’accablant d’un regard menaçant. Il ne se passait pas une minute sans que ce téléphone l’obsède.


Chaque matin, dès qu’elle ouvrait les yeux, elle les tournait vers l’objet en pensant : «Aujourd’hui, Fukiko me téléphonera…. C’est aujourd’hui le grand jour… Oui, elle va appeler… ».

Tout en se préparant pour se rendre à Seiran, elle ne détachant pas son regard de l’objet, prête à décrocher à la moindre sonnerie… Combien de fois n’avait-elle pas rêvé cette sonnerie au point que pensant l’entendre, elle se précipitait pour se saisir du combiné ? Invariablement, elle s’écriait : «Enfin, c’est vous ! Vous avez enfin pu vous libérer pour m’appeler ! Je vous en remercie !». Puis, alors qu’elle s’apprêtait à poursuivre, elle entendant la cruelle réponse de l’objet : la froide et neutre tonalité qui, comme Rei, attendait que la communication s’établisse.


Chaque soir, elle guettait le moindre son. Peu à peu, espoir et enthousiasme s’étaient émoussés pour distiller en elle des gouttes de tristesse : celles de ses larmes qu’elle ravalait matin et soir confrontée au terrible face-à-face de l’objet s’obstinant à demeurer irrémédiablement muet. Rei avait appris depuis son plus jeune âge à ne jamais laisser une larme d’échapper de ses yeux : longtemps, elle avait joué pour sa mère la comédie du bonheur, même si bien souvent elle était envahie d’une rage impuissante qui se muait en un océan de douleur. Elle aurait voulu aider sa mère, elle lui tendait sans cesse la main, comme pour la soutenir, comme pour l’aider à porter son fardeau, comme pour la retenir à la vie… mais en vain… Depuis longtemps, les sanglots de Rei pleuraient en elle. Ils s’étaient blottis dans son cœur pour devenir ses compagnons de solitude. Elle avait affronté la lente décadence de sa mère, les multiples humiliations que lu valait son statut d’enfant naturelle et ses origines modestes. A présent, elle devait faire face à ce téléphone dont la voix semblait s’être irrémédiablement perdue dans les méandres de la vie, semblable à certains cours d’eau qui s’enlisent dans le sable. Cet objet heurtait si souvent et si violemment son regard qu'elle portait d'invisibles cocards dont elle seule ressentait l'âpre morsure.


Lasse de ces pesants et inutiles têtes-à-têtes avec l’objet, elle décida de s’adresser à lui. Elle s’agenouilla en signe de prière, puis commença par lui parler avec douceur, mettant dans sa voix toute l’affection qu’elle portait à sa sœur.

C’est d’un message qu’elle le chargea : «Toi qui peut communiquer avec elle, dis-lui que je l’ai attendue sous l’orme. Je t’en prie, dis-lui que chaque matin et chaque soir, j’attends son appel. Dis-lui combien je lui suis et lui resterai dévouée à jamais. Raconte-lui l’abnégation dont tu es le témoin. Confie-lui tout ce que mon statut d’enfant illégitime m’interdit de lui confier… Dis-lui…. Promets-moi… Promets-moi que tu le feras ! Promets-moi que tu sauras te faire mon porte-parole ! Mais promets, nom d’un chien !!!! Pourquoi restes-tu immuablement muet ?!!! Les multiples yeux de ton clavier scrutent les miens avec une indifférence inlassable !!!! Assez !!!!! Pourquoi ne veux-tu pas parler ?! POURQUOI ?!!!! Que t’ais-je donc fait ?!!!! Quel crime ais-je commis pour mériter un tel traitement ?!!!! Nous n’y sommes pour rien Fukiko !!!! Ni vous ni moi, ne sommes responsables !!!! Ne payons pas les amendes de nos parents, je vous en prie… Appelez… Pour savoir pour quelle raison vous ne m’avez pas trouvée…. Appelez… Faites enfin retentir cette sonnerie que j’attends depuis si longtemps… Appelez pour que je puisse décrocher ce combiné qui demeure plus statique qu’une statue… ».


« DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIG !!!!! DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIG !!!!!! DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIG !!!»


Enfin son vœu était exaucé ! Enfin l’objet allait retrouver la parole, leur permettant de communiquer, de se dire leur affection ! Enfin….. Elle fondit sur le combiné, le porta fiévreusement à son oreille….


« BIP ! … BIP ! …. BIP ! … BIP !.... BIP ! … BIP ! …. BIP ! … »


«… Oh…. » laissa échapper la jeune fille.


D’un geste rageur, Rei jeta le combiné contre le mur ! Lui qui d’habitude se refusait à parler devenait intarissable de mutisme !


« BIP ! … BIP ! …. BIP ! … BIP !.... BIP ! … BIP ! …. BIP ! … »


Rei fusilla l’objet du regard, puis s’écria : « Traître !!!!! Tu n’as pas rempli ta mission !!!! Tu ne lui as rien dit !!!! Tu n’as su que me trahir !!!! Tu te refuseras à jamais à parler n’est-ce pas ?! Et bien je te garantis que tu vas recouvrer la parole, crois-moi !!!!»


D’un geste sec, Rei composa le numéro de l’horloge parlante. Elle s’allongea, se laissant à nouveau dériver au gré de la fièvre. A présent, ce n’était plus les heures qui s’égrenaient au son de la voix impersonnelle, mais celle de sa sœur qui lui renouvelait sa promesse de ne jamais la quitter, sa sœur qui lui disait combien elle tenait à elle, combien elle était importante à ses yeux…

Rei se laissait à nouveau porter par le courant de son espoir chimérique la portant en un lieu dont seul son esprit connaissait le chemin : celui d’une affection pure, sincère et partagée avec sa soeur … Le combiné blotti contre son oreille lui murmurant des paroles imaginaires, elle se donnait l’illusion de ne pas vivre seule….



FIN


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